Gérard, les Abécédaires

L’écrivaine

Aventure/ Billet/ Chat/ Description/ Essai/ Feuille/ Gratter/ Haïku/ Idée/ Journal/ Kiosque/ Légende/ Marge/ Nouvelle/ Orthographe/ Papier/ Question/ Raconter/ Style/ Titre/ Utopie/ Vanité/ Yeux… (w, x et z introuvables)

Ecrire un billet n’était pas, pour elle, une aventure. Elle n’en était plus aux coups d’essai naïfs et maladroits d’une lycéenne douée pour le journal de l’établissement. C’est dans cette feuille de chou qu’elle avait soigné sa timidité, le sentiment d’être en marge : lancer le poil à gratter d’un billet, émouvoir le lycée par un haïku délicat et retenu sur les chats, persifler en douce sur la professeure de musique à travers une cruelle description des crises d’hystérie (les mauvais jours) ou d’histrionisme (les bons jours) d’une "Cunégonde Bécassine" que tout le monde reconnaissait, raconter la vanité d’un "Napoléon Duchapeau" qui évoquait irrésistiblement le proviseur… C’est à ce titre qu’elle s’était illustrée comme victime dans un conseil de discipline mémorable, enregistré en douce et reversé le soir même sur les réseaux sociaux. De questions en questions, elle y avait fini par faire dire aux bien-pensants du lycée qu’à leurs yeux, on lui reprochait de ne pas avoir dit ce qu’il ne fallait pas dire. Pire encore, l’avoir fait sans injurier l’orthographe. Désarroi et déroute : comment sanctionner un non-dit écrit dans les formes canoniques ? Elle s’était découvert là la fibre d’un ténor (pardon, une diva) du barreau. Plusieurs années après, le lycée l’évoquait encore comme une légende.

Quelques années plus tard, sortie de Normale-sup’, elle n’avait pas opté pour le monde judiciaire, mais celui de la presse. C’était son choix, son orgueilleux plaisir secret : voir ses papiers, son style offerts dans un kiosque. Elle s’était essayée à écrire quelques nouvelles qui l’avaient fait connaître comme jeune écrivaine prometteuse, un jour sans doute porteuse de prix. Pourtant, elle n’avait pas placé là ses utopies. Le journalisme la comblait. Pas celui des grands titres racoleurs et vides. Celui d’un petit quotidien local qui se piquait de fond, de style, de travail d’artisan des idées… Elle se voyait en Alexandre Vialatte écrivant dans La Montagne « La mer sera calme à agitée, sauf dans le Massif Central ». Bien sûr, un jour, peut-être, lasse des fins de mois étriquées, se laisserait-elle sans doute grignoter par une vanité alimentaire.

On n’en était pas là. Il fallait le cracher, ce billet. Et dans l’heure qui suivait. C’est alors qu’elle apprit le décès de Napoléon Duchapeau…

La page était tournée. Trois mois plus tard, elle signait dans Le Monde et s’engageait avec Gallimard.