#Citation et photographie, entre désespoir et nostalgie, par Annie Fuselier
- Atelier d'écriture
- 24 juin 2020
- 2 min de lecture
« Le désespoir de celui qui se croit lâche parce qu’il a cédé à une défaillance momentanée - alors qu’il s’estimait valeureux - n’est vraiment pas une attitude humaine courante. »
Désespérance
Oui, je le connais ce désespoir, « le désespoir de celui qui se croit lâche parce qu’il a cédé à une défaillance momentanée – alors qu’il s’estimait valeureux. » J’étais arrivé dans ce nouvel hôpital, plein de courage, avide d’en découdre avec la maladie, les bactéries, les virus. Les malades se succédaient nombreux dans mon service de pneumologie. J’avais l’ambition de vaincre leur mal et d’inverser la réputation que l’on attribue parfois aux médecins. On nous reproche souvent de faire du chiffre, d’opérer à tout-va, d’oublier que nous avons en face de nous un être humain qui ne répond pas seulement à la définition de «patient en attente de guérison. » Je m’efforçai donc de traiter chacun avec un professionnalisme respectueux de la personne. J’estime que j’y parvenais plutôt bien jusqu’au soir où la ravissante mademoiselle Bernard est venue me demander si le pronostic vital de son père était engagé. J’expédiai une réponse négative hâtivement tout en retirant ma blouse, impatient que j’étais d’aller retrouver des confrères, qui m’attendaient depuis une heure, pour aller boire une coupe.
Vous allez me vilipender ! Adieu le serment d’Hippocrate et mes résolutions présomptueuses, allez vous dire ! Le père Bernard, vous le saviez aussi pertinemment, ne passerait probablement pas la journée du lendemain. Ses poumons étaient dans un tel état que tous les respirateurs du monde ne suffiraient pas à les oxygéner. Vous m’avez vu faire tout ce que j’ai pu pour soigner cette pathologie. Mais la façon dont j’avais congédié sa fille était pour le moins cruelle, je vous le concède. Mon comportement trahissait tous mes principes. Qu’auriez-vous fait à ma place ? D’accord, ce n’était pas glorieux de ma part. Vous êtes témoin de ma désolante affliction. Comment penser à autre chose ? Vous avez raison : c’était indigne d’un médecin. Pourquoi une telle lâcheté de ma part ? Vous, vous auriez sans doute accordé quelques minutes de plus à mademoiselle Bernard pour expliciter la situation et la mettre sur la voie d’une vérité qu’il ne convenait plus de cacher.
Mon désespoir ne fait que s’alourdir quand j’imagine la jolie demoiselle Bernard se préparant, demain, à venir voir son père. Elle s’applique à souligner ses cils de mascara, tend à son miroir un visage soigneusement maquillé. Quand elle arrive à l’hôpital, elle est toujours impeccable, ses cheveux blonds bien coiffés, presque trop disciplinés. Une vraie gravure de mode ! Elle vient parfois accompagnée d’une brunette à couettes, aux joues rondes, sa petite sœur sans doute, qui l’observe sans cesse pour imiter son attitude. Je les imagine toutes les deux devant leur miroir. Leur renvoie-t-il l’image qu’elles souhaitent donner d’elles ? L’affection qu’elles témoignent à leur père doit être à la mesure de ces soins qu’elles apportent à leur toilette. Elles seront trop belles pour la mort. Quant à mon miroir, mieux vaut que je ne me regarde pas dedans ce soir !

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