#Citation et photographie, entre désespoir et nostalgie, par Gérard Giraud
- Atelier d'écriture
- 24 juin 2020
- 3 min de lecture
« Le désespoir de celui qui se croit lâche parce qu’il a cédé à une défaillance momentanée - alors qu’il s’estimait valeureux - n’est vraiment pas une attitude humaine courante. »
Entends ce bruit sans fin…
Un
Je profitais, pour ranger de vieilles photos, d’une période de ralentissement général du monde en raison d’une crise boursière qui l’avait mis à genou, à moins que ce ne soit une pandémie ou une catastrophe nucléaire ou un déferlement de réfugiés climatiques – bref : les épisodes habituels depuis quelques décennies. L’une d’elles me laissa rêveur, de ces rêveries qui surgissent de la remontée inopinée d’une blessure dont la cicatrice s’est depuis longtemps fondue sous la peau de l’existence On y voyait Olga, une de mes cousines, s’apprêter le minois devant un miroir sous le regard sérieux de se sa fille Elsa à peine sortie de l’état de bébé. A cet âge - je parle l’Elsa -, tout est sérieux à l’extrême. Les adultes l’oublient et, généralement, tuent le poète dans l’âme de leurs enfants. C’était durant les sixties. J’avais bien connu Olga durant mon enfance lors des retrouvailles familiales dans la villa de mon oncle Grisha. Adolescent, j’avais beaucoup fantasmé sur sa féminité que, sans comprendre vraiment, je voyais éclore et petit à petit s’épanouir, me troublant jusqu’au mutisme. Le vieil émoi oublié remontait, pulsant d’émotions avec une force qui me surprenait. Nous aurions pu faire le chemin ensemble… La vie fut prosaïque. Elle mena la sienne, comme mes autres cousines. Moi la mienne, pas grand-chose. Je fixais l’image qui se troublait. Mes yeux se tournaient irrépressiblement vers l’intérieur. Comme dans un rêve – mais n’en était-ce pas un ? – je m’entendis m’adresser à elles qui, pourtant, avaient disparu il y a cinq ans.
Deux
Cette photo en noir et blanc semblait annoncer une douce existence comme on en souhaiterait à tous les enfants. « Ne vous dérangez pas, "je passerai comme la rumeur, m’endormirai comme le bruit" ». Elsa s’était avérée possessive. Olga ne l’était pas moins. Quel destin fut le vôtre, "fiancées de la terre et promises des douleurs" ? Doucement, sans faire de bruit, un long combat s’instaura, grandit, envahit vos existences. Un combat épuisant, sans fin, sans issue, Pourquoi avoir gâché vos existences irremplaçables ? N’aviez-vous pas chacune une place dans la splendeur du monde ? Saviez-vous que Grisha n’y survivrait pas ? Saviez-vous qu’aujourd’hui, je sombrerais dans un désespoir d’encre ? Saviez-vous que vous nous laisseriez un monde incomplet ? Quelle fut votre souffrance incandescente. Fières, chacune, vous vous imaginiez défaillantes l’une à l’autre. Quels dieux cruels vous ont broyées ?
La pendule, de sa voix aigrelette, me ramena au réel. J’ouvris doucement les yeux qui, à mon insu, s’étaient humidifiés. Il faisait nuit.
Trois
À cinq ans, on adore observer Maman se pomponner, s‘imaginer avec un beau chignon, une brillante mise en plis à la place de deux couettes banales et raplapla. Olga, dans ces moments- là, savourant, avec sa fille une intimité un peu narcissique, déjà, modelait la fillette à son image, inconsciemment peut-être, mais avec quelque perversité, prenant possession d’elle, l’enserrant d’un filet étouffant d’un ersatz d’affection venimeuse dont, vraisemblablement, elle n’avait elle-même pas conscience de l’existence ni des ravages que provoquerait, quelques décennies plus tard, cette quasi manipulation d’un petit être dont l’amour, l’admiration, l’identification à sa mère la rongerait inexorablement jusqu’à la névrose, la psychose, la destruction de l’une et de l’autre. Maman, elle, riait, ignorant, dans son dos, "les pas de l’avenir qui se rapprochaient".
Entends ce bruit fin qui est continu, et qui est le silence. Écoute ce que l'on entend lorsque rien ne se fait entendre...

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