#Citation et photographie, entre désespoir et nostalgie, par Marie-Françoise Chabin
- Atelier d'écriture
- 24 juin 2020
- 2 min de lecture
« Le désespoir de celui qui se croit lâche parce qu’il a cédé à une défaillance momentanée - alors qu’il s’estimait valeureux - n’est vraiment pas une attitude humaine courante. »
DEFAILLANCE
Vraiment, existe-t-il quelqu’un de plus valeureux que moi ?
Moi, Flore Rémond, brillante étudiante en pharmacie, je passe deux heures tous les vendredis après-midi dans les locaux de l’association «SOS-tétik» pour aider des femmes défavorisées à se rendre plus présentables.
Et ceci bénévolement.
Il faut savoir que ma propre mère était esthéticienne, et qu’elle s’était associée avec sa sœur qui, elle, était coiffeuse. C’est ainsi qu’enfant, je déambulais d’un salon de coiffure à un salon de beauté, bercée par le ronronnement régulier des brushings et enivrée de vapeurs de vernis à ongles. Dans cette chaleur humide et parfumée, les clientes s’étaient habituées à ma présence silencieuse, et je pouvais me coller à elles quand elles ajustaient leurs faux-cils sans qu’elles en prennent ombrage.
Vous, les habituées de «SOS-tétik», quelle joyeuse humanité bigarrée vous formez !
De tous âges, de toutes cultures, vous venez, moyennant cinq euros, confier votre pauvre look à la petite équipe de bénévoles. Vous vous installez sur les chaises bancales de la salle d’attente, les unes intimidées, les autres tout émoustillées. Et en avant la valse des shampoings et des ciseaux, en avant la ronde des manucures et des pinceaux !
Quand vous ressortez d’ici, vous n’êtes pas forcément plus belles, mais vous êtes plus sereines d’avoir pu un moment vous alléger du poids d’un quotidien difficile, voire douloureux.
Un goût de vomi dans la bouche, Flore se rue hors du local.
Une habituée hilare leur a amené une pauvre créature inconnue, une femme entre deux âges habillée de nippes, qui leur a tendu sa pièce de cinq euros sans rien dire. Lorsque Flore l’a installée au bac à shampoing, une odeur fétide lui a aussitôt envahi les narines, et elle a failli défaillir à la vue des diverses bestioles grouillant dans la chevelure broussailleuse.
Sans crier gare, le cœur au bord des lèvres, elle a brusquement déserté.
Et maintenant, accablée, elle erre sur le trottoir. Car, voici qu’elle, Flore la valeureuse, elle a fui la crasse et la misère qu’elle était censée combattre. Minable, indigne, lâche… si brutalement éloignée de la haute image qu’elle avait d’elle-même…
Un irrémédiable désespoir l’envahit peu à peu. Car elle pressent que jamais, jamais à ses yeux elle ne pourra se racheter.

Comments