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#L'Homme qui marche #Agnès de La Vaissière

  • Photo du rédacteur: Atelier d'écriture
    Atelier d'écriture
  • 18 mai 2020
  • 4 min de lecture

L'HOMME QUI MARCHE


J'ai emménagé depuis plusieurs années dans cet appartement et l'homme a toujours été là, comme je le vois ce soir arpenter la rue déserte, Je ne saurais définir l'instant précis où sa présence m'a interpellée, mais ce dont je suis sûre, c'est que je l'ai découverte en regardant par la fenêtre. L'homme marchait sur le trottoir, son téléphone à l'oreille, sa canne suspendue à son avant bras. Il fumait peut être, ou, à cet instant, peut-être pas.

C'est probablement en le revoyant, le lendemain, ou deux jours plus tard, silhouette longue et malingre marchant dans un sens, disparaissant à l'angle de la rue et réapparaissant de l'autre que j'ai compris le manège : l'homme fait le tour du pâté de maisons.


Subitement cette présence m'inquiète et voilà que je me pose des questions : qui peut-il être? Il n'est pas très jeune, il a une canne, il est assez moderne pour avoir un téléphone portable. Pourquoi ces allées et venues ? Attend-il quelqu’un ? Cherche-t-il des indices comme un détective, sous son air débonnaire ? Peut-être cherche t-il son animal de compagnie, alors il poserait des affichettes avec sa photo ceci est improbable, il y a trop longtemps qu'il tourne. Il marche l'air de rien. Je prends mes jumelles, je me cache au coin de la fenêtre pour mieux l’observer. Comment puis je en arriver là ? Ce monsieur semble tellement inoffensif. Son age, son allure, l'heure de ses sorties (oui j'en suis là, je connais l'heure à laquelle il passe.) Décidément je deviens une vieille fille qui vit par procuration à guetter derrière son rideau comme dans un roman de gare ! Et pourquoi ramener ce mini événement à moi ?

Et si c'était moi qu'il cherchait ? Quelle idée saugrenue ! Vraiment ma fille tu n'as pas d'autre chose à faire ? Penses plutôt au travail que tu dois rendre.

Je m'éloigne de la fenêtre, enfin je suis libérée de cette obsession, mais c'est comme un air entendu qui revient et que l'on fredonne, une ritournelle et bien j'y retourne.



Cette idée s'ancre en moi, il me guette sûrement et que me veut-il ? Cela m'inquiète, L’aurai-je déjà rencontré, au boulot, à une fête familiale ou entre amis ? Mais son âge ne correspond pas à mes relations. Il pourrait avoir l'âge de mon père !

Prononcer ce mot me perturbe, mon père… C’est le vide. Qui est-il ? Qui es-tu toi que je ne connais pas ? Ma mère n'a jamais voulu me parler de lui, encore moins me dire son nom. À l'âge de la maturité, j'ai insisté pour obtenir des informations à son sujet, ma mère est restée mutique.

Je suis célibataire, mes quelques aventures se sont soldées par un échec, je n'avais pas confiance, quelque chose me manquait. Je ne sais pas, peut-être est-ce lié, je n'ai pas fait la démarche d'aller voir un psy. Si ma mère m'avait laissé quelques indices, j'aurai cherché sur internet.

Il est trop tard ; ma mère est décédée gardant son secret. Que de vies gâchées avec ces foutus secrets de famille !

Décidément je gamberge ; pourquoi penser à lui, après tout je vis assez bien sans lui. Mais voilà, le mot fait son chemin et commence à m’obséder. Je n'avais jamais pensé en ces termes : « mon père ». Je vais fouiller la boite à chaussures dans laquelle les quelques papiers et photos sont entassées. Rien qui me parle d'un homme qu'elle a aimé.

L'inquiétude me gagne, Puis-je m'autoriser à penser à lui ? Il pourrait être grand, petit, riche, pauvre, ouvrier, intellectuel… Ma mère a eu de multiples aventures, et je n'ai pas connu les hommes de sa vie.

Lorsqu'elle était jeune, maman à reçu un petit collier en or qu'elle n'a jamais quitté, collier modeste que j'ai reçu en héritage lors de sa mort, étant sa seule fille. Au fait, où est il ? Il me semble l'avoir caché au fond d'un tiroir. Il est là, enfoui dans ma lingerie. Je le mets. Pas mal, discret, élégant, passe-partout…

Je décide de le garder,

Mon télétravail fait que je sors peu, mais j'ai besoin de faire quelques courses. Il fait assez chaud, je peux mettre ma robe légère et ma foi ce collier va très bien avec. J'ajoute une petite écharpe.

Ce quartier est si calme : quelques vieilles personnes, quelques livreurs, le facteur sont les seules personnes rencontrées. Mais voilà le promeneur solitaire ; de loin il présente bien, sa démarche est élégante de même que son costume un peu ringard.

Mes courses terminées, retour à l'appartement et à nouveau nous nous croisons, j'entends qu'il s'arrête, je continue vaguement inquiète, il revient vers moi et m'interpelle :

— Mademoiselle ! Mademoiselle !

— Oui ?

— Je me permets de vous adresser la parole ; c'est pour vous dire que je cherche quelqu'un habitant cette rue, une jeune femme de 30 ans environ et dont je ne connais que le prénom : Lucie. Habitez-vous ici depuis longtemps ?

— Oui…

Mes jambes tremblent, j'ai chaud. J'enlève mon écharpe…

Ce monsieur remarque tout de suite mon petit collier qu'il fixe avec intensité.


 
 
 

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