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#L'Homme qui marche #Geneviève Dabet

  • Photo du rédacteur: Atelier d'écriture
    Atelier d'écriture
  • 21 mai 2020
  • 2 min de lecture

L’homme qui marche


J’ai emménagé depuis plusieurs années dans cet appartement et l’homme a toujours été là, comme je le vois ce soir arpenter la rue déserte. Je ne saurais définir l’instant précis où sa présence m’a interpellée, mais ce dont je suis sûre, c’est que je l’ai découverte en regardant par la fenêtre. L’homme marchait sur le trottoir, son téléphone à l’oreille, sa canne suspendue à son avant-bras. Il fumait peut-être. Ou, à cet instant, peut-être pas.

C’est probablement en la revoyant, le lendemain ou deux jours plus tard, la même silhouette longue et malingre qui marche dans un sens, disparaît à l’angle de la rue et réapparaît dans l'autre sens que j'ai compris le manège. L’homme fait le tour du pâté de maison.

« L'homme fait le tour du pâté de maison, qu’importe ! » Pourtant inconsciemment puis consciemment, je me mis à guetter ses passages. Simple curiosité me dis-je, un tel rituel avait sûrement une raison d’être ? Les idées les plus farfelues me trottaient dans la tête, heureusement vite oubliées. Je commençais pourtant à attendre ses passages, je remarquais même ses petits retards, ses quelques brefs arrêts sur le parcours et de jour en jour, moi, Cécile, femme sérieuse et responsable, je me mis à gentiment divaguer en regardant la rue à la nuit tombée. Ma fille me taquinait sur cette nouvelle manie.

Alors, plus discrètement, j'observais cet homme, notant quelques détails, des petits changements, parfois il n'avait plus sa canne ou oubliait son téléphone, il marchait un peu voûté quand le vent se levait, il me paraissait fatigué, un peu amaigri ces temps-ci.

Les semaines passaient et petit à petit la certitude se faisait jour : Antoine essayait de me joindre par téléphone. Il veut sûrement me dire ce qu'il n'avait pas eu le temps de me dire, et maintenant il essayait de me téléphoner mais il était tellement maladroit avec ces nouveaux téléphones ! Pourquoi ne rentre-t-il pas à la maison ? Mon mari était devenu bien compliqué ! Pourtant il sait que je l'attends, et il fume encore dehors. Malgré sa toux, il fume toujours, je le vois bien tousser quand il tourne le coin de la rue, cette toux sèche qui lui déchire la poitrine. Antoine, ce n'est pas sérieux ! L'hiver approche et tu sors si peu couvert.

Tiens, tu as pris ta canne aujourd'hui, tu as toujours été fragile des lombaires, ça a l'air d'empirer...

Je sursaute en entendant ma fille :

— Maman, que fais-tu encore à la fenêtre à cette heure-ci ? La nuit tombe et l'air rafraîchit, je vais fermer les volets.

— Il marche avec une canne depuis quelques temps, tu te rends compte Sylvie ! Il ne rajeunit pas.

— De qui parles-tu maman ?

— De ton père bien sur, d'Antoine, regarde, il fait sa promenade du soir avec une canne maintenant, quelle tristesse !

— Maman, ce n'est pas Antoine que tu vois le soir, tu te souviens ? C’est le gardien de l’immeuble en face qui fait sa ronde. Tu as vendu la maison il y a 7 ans, quand papa nous a brutalement…

En pleurs, elle ne put finir sa phrase.

Je ne comprends toujours pas ma fille pensais-je en ouvrant de nouveau la fenêtre.


 
 
 

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