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#L'Homme qui marche #Roland Durier

  • Photo du rédacteur: Atelier d'écriture
    Atelier d'écriture
  • 22 mai 2020
  • 5 min de lecture

Un tout nouveau virus


L'accent aigu a disparu


Il est dans la ville un groupe de penseurs talentueux qui, sous la houlette de Marie – pas la Sainte Vierge, une autre Marie -, carburent sur l'histoire d'un homme dont l'occupation essentielle semble être de faire le tour d'un pâté de maisons.

Peu inspiré par le sort de cet homme, j'ai été accroché par le mot pâté. Drôle de vocable, passé de la cuisine à l'urbanisme. Et tout naturellement si l'accent aigu s'évanouit, un autre élément fait surface, pâte, qui, lui, est aussi dans le registre du ''bien manger''.

Généralisant le propos, il est naturel de s'intéresser à ce phénomène étrange : la disparition (on pense, bien sûr, au roman de Georges Pérec) de l'accent aigu dans le monde des mots. (Disappearance of the acute accent in the world of words). On se limitera naturellement à la langue française.

Voici un récit de cette peu banale affaire où parfois le vrai peut n'être pas vraisemblable. C'est un véritable conte avec son ogre et sa fée.


Un nouveau virus

Le lyrisme de Bossuet dans ce cri de douleur « Madame se meurt, Madame est morte» est excessif pour décrire la réalité d'aujourd'hui « l'accent aigu se meurt, l'accent aigu est mort », et pourtant l'émoi est grand dans la gent intellectuelle. Les experts se doivent de trouver une explication à cet évanouissement général, dans notre belle langue française.

Les travaux conduits avec compétence et méthode ne tardent pas à trouver le responsable de cette calamité. C'est tout bonnement un nouveau virus glouton qui, tel un ogre, se nourrit de ce malheureux petit signe graphique (baptisé accent aigu par l'imprimeur Robert Estienne dès 1530).

Ce virus reçoit le nom de axantéguvirus. Le choix de ce substantif montre le souci de ses inventeurs de lui donner une allure scientifique avec cet x au lieu des deux c de ''accent'', avec de plus une once de dérision en utilisant le é et non le ai de ''aigu''.


Petite cause – Grands effets

La disparition de ce tout petit signe, le simple accent aigu, produit un effet dévastateur. Tout mot ainsi amputé s'évanouit s'il n'appartient pas à la langue française usuelle ; que faire d'autre de : bébé, député, égalité, télé … par exemple ? Il en est de même si, bien qu'existant, il est inadéquat dans la phrase : participe passé d'un verbe du premier groupe.

Chaque marié porte le joli prénom de marie ; un carré devient une carre de ski...

Chez les militaires, plus de ''général'', le grade de colonel devient le plus élevé. L'année ne comporte plus que trois saisons ; adieu à l'été avec vacances, baignade, bronzage... Bonaparte ne peut plus devenir l'empereur Napoléon. En musique plus de bémol. Le mot ''événement'' résiste grâce à d'une graphie nouvelle avec un accent grave sur le deuxième ''e''.

Deux exemples dans l'histoire de France

La Chanson de Roland

Cette Chanson de Geste a-t-elle pu être victime de l'axantéguvirus ? La réponse est négative.

Il convient naturellement de se référer à une version dans ''l'ancien françois''. Une telle version se trouve dans un manuscrit composé dans les années 1100, conservé à la Bodleian Library d'Oxford et transcrit pour une édition imprimée. Or l'examen de ce long texte fait apparaître seulement quelques dizaines de mots contenant un ''é'' qui, dans leur contexte n'ont subi aucune destruction. À titre de curiosité, quelques citations : li reis poestéifs pour le roi puissant, ses niés Rollant pour sont neveu Roland ou encore el greignor paréis le grand paradis.

Conclusion : le virus a moins de mille ans. Toutefois, en cohérence avec le rôle de R. Estienne indiqué plus haut, il ne peut guère avoir plus de 500 ans.


Les Fables de La Fontaine

D'après des experts il semble qu'une toute première attaque a pu être menée contre les Fables de la Fontaine.

Dans le recueil, paru en 1678, Livre VII, la Fable 10 intitulée la Laitière et le pot au lait, narre la maladresse de Perrette. Celle-ci, légère et court vêtue, saute de joie et renverse son pot au lait et alors ''adieu, veau, vache, cochon''. Plus de ''couvée'' dans certains exemplaires de l'ouvrage, croit-on savoir. Le virus aurait sévi et le joli mot ''couvée '', privé de son accent, a disparu du vocabulaire et donc de l'alexandrin de la fable (qui n'a plus alors que dix pieds).

La guerre est déclarée

La langue de Molière soufre ainsi de la mort de mots, de nombreux mots. Une fantastique épidémie due à l'axantéguvirus se développe et, devenue pandémie, affecte les écrits francophones dans le monde entier. Contagiosité, stratégies de défense sont étudiées en vain par de multiples équipes de recherche.

L'Académie Française elle-même sort de sa léthargie et communique abondamment dans les étranges lucarnes. Ce sont aussi de multiples commentateurs présents sur les écrans de télévision qui donnent leur avis, malgré leur compétence pour le moins limitée. Dans les antichambres du pouvoir la réflexion prospère et des mesures sont envisagées.

Dans les cuisines de l'Elysée, on croit bon d'éviter les mots portant comme une décoration la lettre ''é'' ; en conséquence plus de pâté en croûte, plus de potée bourguignonne, plus de bouchées à la Reine.


La Résistance s'affirme et abat l'ennemi

Un résumé de la situation : le monde des mots est totalement perturbé par l'envol dans l'inconnu de trop nombreux vocables. Les terriens sont incapables de résoudre le problème posé.

C'est alors que la Résistance se développe. Mais où ? Eh bien dans un au-delà mystérieux, refuge de tout les écrivains ayant quitté la Terre, tous les écrivains connus et même les auteurs modestes inconnus. Cette troupe immense qui a illustré la langue française ne peut rester insensible à la catastrophe vocabulairesque (un mot de l'au-delà !) due au désormais célèbre axantéguvirus. Elle va jouer, dans ce conte, le rôle de la bonne fée.

Une mobilisation gigantesque, suscitée par les Racine, Voltaire, Hugo, Balzac, Camus et tant d'autres, se met en place. Se joignent à cette troupe les auteurs de dictionnaires de langue, les Littré, Larousse, Robert, Bescherelle et des plus anciens encore : Michelet (1680), Furetière (1690).

Il fallait sans doute une intervention aussi massive que miraculeuse pour vaincre enfin le malfaisant axantéguvirus et pour réussir enfin la réapparition de l'accent aigu et la résurrection de mots morts.

Sur terre une frénésie saisit alors tous les amoureux de la lecture qui veulent emporter les livres avec leur intégrité retrouvée. Chacun a les bras chargés, voire surchargés, de volumes reliés, brochés, illustrés…

La cohue est indescriptible et les piles de livres, en déséquilibre sur des bras chancelants, ne tardent pas à tomber au sol dans un grand fracas.

Ainsi se termine le conte, avec la défaite de son ogre féroce et la victoire de sa fée providentielle.

Apothéose finale


Le bruit de la chute de tous ces ouvrages me réveille brutalement. Tout cela, un nouveau virus, la mort puis la renaissance des livres - n'était donc qu'un rêve. Prémonitoire, peut-être.

Note. Toute ressemblance, si imparfaite et si maladroite soit-elle, avec l'actualité de ce printemps 2020 n'a pas échappé au rédacteur du texte ci-dessus.



















 
 
 

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