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#Raconte-moi ton arbre généalogique #Annie Fuselier

  • Photo du rédacteur: Atelier d'écriture
    Atelier d'écriture
  • 5 juin 2020
  • 4 min de lecture

Héritage immatériel


La lecture de l’Irish Times de ce matin de novembre 2002 me navre. Mon ancien voisin et ami de toujours Patrick S. Sheridan vient de mourir, encore jeune (58 ans) d’un AVC. Bien sûr les grandes lignes de sa biographie sont à peu près respectées : naissance dans le comté de Meath, douanier à la frontière de l’Ulster, reprise d’études en littérature anglo-irlandaise, un peu de journalisme avant d’enseigner à l’université de Galway puis de Dublin. L’itinéraire est juste, paraît lisse mais rend compte de façon bien impersonnelle de l’homme que j’ai connu. Article à peine digne d’une deuxième de couverture !

Si l’Irish Times m’avait sollicité, je n’aurais pas retracé la vie banale d’un écrivain devenu célèbre dans les milieux intellectuels irlandais. Son existence fut à la fois plus excentrique et plus ordinaire qu’il n’y paraît. J’ai partagé avec Pat, dès notre enfance, tant de moments anodins ou chargés d’émotion loin des universités et des librairies ! Je me souviens, en particulier, d’un soir au pub, où la bière aidant, il m’avait conté l’héritage reçu de ses aïeux. Je les connaissais tous d’ailleurs.


S’il ressemblait vaguement à son père, Pat avait surtout hérité de sa grand-mère maternelle ses yeux bleu marine, d’une douceur sombre, et ses cheveux blonds tout frisés. En épousant Charles Weber (1885 -1980), Bridget Mac Donnell (1890-1965) avait connu une vie mouvementée pétrie par la fierté combative des Irlandais. De Charles, l’insurgé convaincu, Pat avait gardé l’esprit de rébellion qui avait poussé son grand-père maternel à rejoindre les rangs du Sinn Féin lors du soulèvement de Pâques de 1916. Le ressentiment contre les Anglais avait plus tard nourri son admiration pour l’écrivain O’Flaherty, sur qui il rédigea sa thèse.


Du côté paternel, le legs était non moins fier mais plus pacifique. James Sheridan (1880 -1948) était propriétaire du petit pub « Rose of Tralee » dans le quartier de Temple Bar à Dublin. Sa voix de basse lui permettait aussi bien de gérer la clientèle nombreuse et souvent éméchée que d’interpréter ses ballades irlandaises favorites. Après avoir tonitrué « last orders » sur le coup des 23 heures, pour que les clients annoncent leur dernier verre, il s’emparait souvent de son violon, qui n’était jamais très loin des barils de bière. Non, Pat n’avait pas hérité des qualités musicales de ce grand-père. Pat chantait faux comme une sorcière celte. Mais il était, comme James, attaché au patrimoine écrit et sonore de son pays et tenait de cet aïeul son érudition dans ce domaine. Quand il en était à sa troisième ou quatrième pinte, il se plaisait à raconter qu’il était né d’une fée des tourbières et d’un géant du nord, là où la Chaussée de basalte s’avance dans la mer en direction de l’Ecosse.


La femme de James, née Josephine Heath (1874-1958) était d’une nature plus posée. Après leur mariage, elle était devenue néanmoins plus péremptoire afin d’expulser du pub les derniers buveurs du samedi soir. Elle affirmait souvent son autorité en brandissant son index droit sous le nez de tout interlocuteur récalcitrant. Chose étrange, cela faisait son effet. Pat, le petit-fils avait toujours imité ce geste pour souligner ses dires chaque fois qu’il avait à convaincre ! Il était reconnaissant à cette grand-mère de lui avoir raconté de nombreuses histoires de « leprechauns » s’égaillant dans la lande.


Quant au père de Pat, il incarnait la loi et l’ordre. David Sheridan (1913-2000), né à Roscommon, était un « garda » de la police irlandaise. Garant d’une autorité familiale stricte sur ses quatre enfants, il imposait l’obéissance dans la maison et le silence à table. Ses colères pouvaient être redoutables. Pat était trop bavard et trop épris de liberté pour accepter une telle discipline. C’est pourquoi il avait quitté jeune le domicile familial pour faire ses propres expériences. Mais il avait conservé de son père un geste familier : chaque fois qu’il réfléchissait, il se caressait longuement le lobe de l’oreille. Mieux valait alors ne pas troubler sa méditation !


Comme pour équilibrer l’ascendant paternel quelque peu rigide, la mère de Pat, née Lorna Weber (1915-2001) à Dundalk était la douceur même. A dix sept ans, éperdument amoureuse du grand David, elle avait fui la maison de ses parents. Seul signe d’indépendance ! Vite devenue mère, femme au foyer, elle avait fait de l’éducation de ses quatre enfants un véritable sacerdoce. Catholique pratiquante, elle n’avait quitté le sol irlandais que pour suivre un pèlerinage à Lourdes, dont elle avait rapporté une statuette de la vierge bleue et blanche. Elle passait des heures au coin du feu de tourbe à coudre, broder, tricoter ou prier. Quand son fils Pat venait la voir, elle se tournait les pouces sur son tablier fleuri pour mieux écouter le récit de ses activités. Il prenait soin de ne pas l’inquiéter avec ses fréquentations plus ou moins avouables, surtout au moment de la reprise des hostilités dans le camp des républicains activistes dans les années 69-70.


De la même façon que sa maman, Pat se tournait les pouces lorsqu’il écoutait ses amis, ses frères ou sa sœur donner de leurs nouvelles. Paula, l’aînée (née en 1940) docile et appliquée, a monté une affaire de « Bed and Breakfast » dans le Connemara. Oliver, le troisième (né en 1946), le plus obéissant, est devenu cadre commercial en informatique dans le Comté de Wicklow. Michael, le plus jeune, a émigré aux Etats-Unis, sur les traces d’un de leurs arrière-grands-pères (parti en 1876). Il vent des armes dans l’Iowa.


La vie sentimentale de Pat fut des plus instables. Des idylles de roman. Plusieurs liaisons houleuses avec des étrangères. Un mariage avec une Italienne qui lui donna deux fils. A eux désormais de garder en héritage ce qui leur fut légué.


 
 
 

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