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#TEXTES LIBRES # Dans la ville en ébullition, par Gérard Giraud

  • Photo du rédacteur: Atelier d'écriture
    Atelier d'écriture
  • 1 avr. 2020
  • 2 min de lecture

Dans la ville en ébullition


Dans la ville en ébullition, jeans filiforme, baskets blanc fluo, flottant dans un blouson à capuche noir, un jouvenceau emmanché d’un long cou allait je ne sais où. Il grignotait un Paris-Brest onctueux, prudemment, à petit de coup d’incisives. Lunaire, tout à son plaisir craquant et sucré, il ne voyait pas l’agitation, n’avait pas perçu les manifestants surexcités au milieu desquels il s’était laisser encapsuler. Il ne remarquait pas les déprédations auxquelles ils se livraient en vociférant. Lunaire et naïf, il l’était au point de déambuler en ces jours bouillonnants sans même sa carte d’identité.

Ce qui devait arriver arriva : dans les brouillards amalgamés des pétards et des lacrymogènes, il vit, droit devant lui, à moins d’un mètre, une athlétique policière en tenue de robocop qui lui abattit une main plus que lourde sur l’épaule et l’embarqua fermement vers le panier à salade. Il se laissa faire gentiment : un lunaire surfe sur le monde à une altitude qui le met à l’abri des rebellions animales.

Sans trop comprendre, il aboutit au commissariat du quartier où il découvrit une cellule auprès de laquelle la chambrée d’une Auberge de jeunesse des sixties fait figure de suite au Lutetia. Il garda cependant, sans savoir pourquoi, un souvenir ébloui mais troublant des yeux et du regard de la policière. Que lui arrivait-t-il ? Les âmes de poètes sont sensibles, peut-être plus que les sismomètres…

Naïf, lunaire et poète, il le resta longtemps. Mais enfin, cahin-caha doucement cabossé ici et là par l’existence, il avançait en âge. De filiforme, il progressait petit-à-petit vers un 3D sans excès. Dix ans durant, il vécut gentiment sans avoir trouvé la moindre âme sœur. Il ne savait d’ailleurs pas chercher, la densité de population à l’altitude où il rêvait habituellement étant trop faible pour lui laisser une vraie chance dans cet exercice. Rares sont les filles qui fondent pour les lunaires ; elles ne pardonnent pas qu’on ne les toise pas.

Il sortait d’une pâtisserie en grignotant un Paris-Brest. Ce n’était plus à Paris, mais à Brest, où il ne pleuvait pas ce jour-là. Contemplant la friandise tout en salivant l’Eden gustatif à venir, il ne vit pas l’obstacle. On le bouscula. Une main plus que lourde s’abattit sur son épaule. Il reconnut une sensation vieille d’une décennie et leva les yeux.

- « Ça, alors, encore vous ! »

Elle le regardait, stupéfaite. Il la regardait ébahi : c’étaient ces yeux, ce regard qu’il avait transformé en madeleine réconfortante, comme un enfant s’attache à son doudou. Elle n’avait pas d’uniforme. Pas de casque de robocop, mais une crinière rousse et une jupe vintage qui volaient au vent d’ouest dans les embruns du bord de port. Il rougit, bafouilla. Elle rougit aussi. Il ne le vit pas. Elle lui prit le bras et l’entraîna vers le square, le regard brillant, ardent, même.

  • « Vous étiez ma première prise, dit-elle, Je ne vous ai jamais oublié… Montez chez moi : nous avons tant de choses à nous dire… »

  • « Vous serez ma première tendresse, renvoya-t-il, cramoisi »

Elle s’en rendit compte.

Et ils eurent plusieurs enfants.


GG – 24 janvier 2020


C’était un garçon doux, secret et taciturne, lâché dans l’existence dangereuse comme un lapin blanc dans un laboratoire de chimie. (Alexandre Vialatte – La complainte des enfants frivoles)


 
 
 

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